Réviser l’article 16 de notre Constitution, une urgence démocratique
On sait, depuis Platon, que la loi est forcément imparfaite et qu’à trop vouloir la perfectionner pour tout prévoir, on finit par ouvrir des boîtes de Pandore. L’article 16 de la constitution française illustre bien cette dérive. En 1958 les rédacteurs encore choqués par le souvenir de l'impuissance politique et juridique du président Lebrun à s’opposer, en 1940, aux menées du maréchal Pétain, et secoués par le récent coup de force des généraux d’Alger, ont créé cet article, prêts à accepter le risque d’une dictature provisoire de salut public comme dernier recours pour sauver la démocratie.
Mais qu’en est il aujourd’hui, à l’heure où la tentation il-libérale progresse dans l’opinion ? Pourquoi conserver cette bombe à retardement parmi les articles de notre vénérable constitution ?
Un article dangereux
Selon l’article 16, en cas de péril national, notamment de menaces graves sur les institutions de la République, le président concentre tous les pouvoirs avec pour seuls éléments modérateurs des avis non contraignants du Conseil Constitutionnel et autres organismes. Avec un tel article, nous ne sommes pas à l’abri, d’un abus de pouvoir, en France : le simple fait de perdre la majorité à l’Assemblée pourrait constituer un motif suffisant pour qu’un président de mauvaise foi, invoque cet article, prétextant les blocages qui pourraient en découler. Un scénario dans lequel ce même président insisterait pour nommer un gouvernement de minorité serait suffisant pour créer ce blocage.
Chacun pressent en France, à l’approche des élections présidentielles, des risques de dérive à travers les discours politiques, puisque l’on entend même déjà de futurs candidats à la droite des républicains, proposer de se débarrasser du Conseil Constitutionnel » et de ne pas reconnaître la suprématie du droit européen sur la question de l’immigration.
Des précédents chez nos voisins proches sont, à cet égard, tout à fait édifiants.
Les Polonais n’ont-ils pas récemment changé leurs juridictions supérieures en cours postiches aux ordres du pouvoir ? Ils ont créé de fait une chambre disciplinaire pour contrôler l'équivalent local du Conseil d'Etat de de la Cour de Cassation.
Et si un tel article avait été inscrit dans la Constitution américaine, le Président Trump aurait pu l’invoquer pour rester au pouvoir après les émeutes du Capitole, sans que la Cour suprême qui n’aurait pu rendre qu’un avis, puisse l’en empêcher.
Un article obsolète
Même si certains politiques poussent au catastrophisme, la société française est très loin d’une situation comparable à la période qui a inspiré les rédacteurs de l’article 16, qui, nous l’avons dit, portait la marque de la défaite de Juin 1940 et du tout récent du coup de force d’Alger qui précipitait la fin de la 4e république.
Et, jusqu'à preuve du contraire, toutes les crises depuis 1958 en France ont été résolues sans qu’il y ait été nécessaire d’utiliser l’article 16. Pour s’en convaincre, il suffit de voir qu’aussi bien lors des attaques terroristes à Paris en 2015, que pour l’actuelle crise sanitaire, en pratique, les différents régimes d’état d’urgence se sont montrés adéquats.
D’autant qu’autour de nous, les autres grandes démocraties européennes se passent toutes d’une telle disposition. Un tel article n’existe ni en Allemagne, ni en Grande Bretagne, ni même en Italie.
Une révision ou une abrogation salutaire.
Il semble donc judicieux d’envisager, en France, avant les élections de mai, de mettre à l’ordre du jour une procédure de révision parlementaire * afin que le danger que pose un tel article sur notre démocratie soit écarté. Lors des débats, une révision ou une abrogation serait possible et salutaire.
Il est plus important que jamais d'éviter que cette disposition puisse donner un pseudo vernis de légalité aux entreprises éventuelles des apprentis dictateurs de l'il-libéralisme et favoriser ainsi des ralliements opportunistes. Et il convient au contraire rappeler que les prises de pouvoir arbitraires sont le plus souvent accompagnés de crimes imprescriptibles tant pour le droit français que pour le droit international.
Brigitte Panah-Izadi
Jean Dubois
* Soulignons qu’aucune reforme conséquente de cet article n’a été envisagée et seules des restrictions quant à la durée de ces pouvoirs exceptionnels ont été mises en places à partir de Juillet 2008 mais elles ne modifiaient en rien la possibilité unilatérale de prise de pouvoir par le président de la république.
par
Brigitte Panah-Izadi
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